Jane Evelyn Atwood | La marraine du festival 2019

BIO | Jane Evelyn Atwood est née à New York et vit en France depuis 1971. Son oeuvre traduit la profonde intimité qu’elle entretient avec ses sujets pendant de longues périodes. Fascinée par les gens et par la notion de l’exclusion, elle a réussi à pénétrer des mondes que la plupart d’entre nous ignorent ou choisissent d’ignorer.
En 1976, elle commence à photographier les prostituées de la rue des Lombards, à Paris. Ce travail, mené toutes les nuits pendant un an, deviendra son premier livre. En 1980, elle reçoit le premier prix W. Eugene Smith pour encourager son projet sur les enfants aveugles.
Dans les années qui suivent, elle va s’engager dans plusieurs autres projets au long cours – les légionnaires, les victimes de mines antipersonnel, Haïti.
En 1987, elle photographie Jean-Louis qu’elle suit durant les quatre mois qui précèdent son décès. C’est la première personne atteinte du sida en Europe qui a accepté que son histoire soit publiée dans la presse. Malgré les milliers de morts, le sida n’avait eu, auparavant, aucun visage.
En 1989, elle commence un vaste travail sur les femmes incarcérées dans le monde. Elle parvient à avoir accès aux établissements pénitenciers les plus difficiles, y compris dans des couloirs de la mort aux Etats-Unis. Cette somme monumentale, qui reste une référence, a pris dix ans et révèle la détention féminine dans 40 prisons de neuf pays d’Europe, d’Europe de l’Est et aux États-Unis.
Jane Evelyn Atwood est l’auteure de treize livres dont une monographie dans la prestigieuse collection Photo Poche. Elle a été récompensée par les prix les plus importants. Ses images sont exposées internationalement (sa première rétrospective a été présentée à la Maison européenne de la Photographie, à Paris, en 2011) et figurent dans des collections publiques et privées.

ÊTRE FEMME PHOTOGRAPHE
« Je ne me pense jamais en ces termes. Ce sont les autres qui me disent: « Vous êtes une femme photographe. » Souvent, on m’associe à des sujets que traitent les femmes mais je ne me limite pas à cela. Je ne suis pas sectaire même si, oui évidemment, je défends les droits de la femme. Je n’aime pas être considérée comme photographe femme qui fait des photos de femmes.
Cela peut paraître curieux, mais je n’arrive même pas encore à me penser comme photographe même si je ne peux plus imaginer ma vie sans la photographie. Ce qui est arrivé, c’est que j’ai rencontré des gens, j’ai vu des situations et j’ai eu besoin de les connaître de près. La photographie m’est apparue comme un moyen pour m’en rapprocher. »

Extrait du livre « Jane Evelyn Atwood », par Christine Delory-Momberger (collection Juste entre nous, Ed. André Frère).

Jane Evelyn Atwood

Jane Evelyn Atwood

Jane-Evelyn-Atwood, DARYA, BADANTE

DARYA, “BADANTE”

Bolzano, Italie. Darya, 54 ans, commence sa journée à 6h30, s’extirpant du canapé-lit du séjour qui lui sert de chambre, dans le petit appartement où elle travaille depuis quatre ans comme aide à domicile – « badante » – pour quatre sœurs âgées.
Les dames dorment encore : Augusta, 94 ans, Gisela, 84 ans, Elena, 77 ans, et Ottilia, 86 ans, pour l’instant à l’hôpital. Darya replie le canapé et s’habille avant de prier. C’est la coutume en Ukraine où elle a grandi et vécu jusqu’au jour où elle a perdu son emploi de contremaîtresse d’usine. Agenouillée devant la table qui lui sert d’autel, elle prie longuement pour son mari, Igor, et leurs filles, Nataliya et Mariya, 22 et 20 ans, qui vivent tous les trois dans la maison familiale en Ukraine, rénovée grâce aux revenus de Darya. Elle prie aussi pour les quatre sœurs dont elle s’occupe et qui la tiennent éloignée des siens.

Darya est fière de son travail qu’elle accomplit avec compétence et compassion. Elle s’occupe jour et nuit de ces quatre femmes gravement impotentes. Sept jours sur sept, elle les lave et les habille, fait les courses et le ménage, prépare les repas, etc.
Le téléphone portable de Darya n’arrête pas de sonner : elle parle à ses filles en Ukraine et avec ses amies « badanti » en Italie.

Une fois par an, elle retourne chez elle, un trajet en car de trente-trois heures. Durant cette semaine de retrouvailles, Darya et ses filles passent leur temps à s’étreindre et se taquiner. Si elles aiment profondément leur mère, elles lui reprochent son absence. Darya est partie depuis des années ; c’est comme s’il ne lui appartenait plus de les élever.

Pour Darya, l’Ukraine est sa famille, mais l’Italie est sa vie. Elle fait cela pour ses filles. Quand chacune sera mariée, qu’Igor et elle toucheront leurs retraites et que la maison sera entièrement rénovée, Darya retournera vivre en Ukraine.
Les « badanti », qui s’éloignent de leurs familles restées à des milliers de kilomètres, laissent en Italie très souvent leur santé et leur vie. Beaucoup ne rentrent jamais au pays.